La vérité sur les moines enfumés ! (Birmanie)
Mauvais karma ?
Dans cet article, j’avais envie de vous raconter ce que l’on ne s’imagine pas toujours en voyant des images circuler sur Internet. Le métier de photographe voyageur est passionnant, toujours en quête de beauté, mais malheureusement celle-ci n’est pas toujours le reflet de la réalité.
Peut-être avez-vous déjà vu une image qui ressemble à ça :
Personnellement quand j’ai vu ce type d’image pour la première fois, je suis resté subjugué par l’ambiance sereine de ce type de photographie. Mais parlons plutôt de ce que l’on ne voit pas…
Photographier les moines en Birmanie.
La Birmanie est sans doute le pays où il est le plus facile de photographier des temples, des stupas mais aussi des moines. Et depuis l’ouverture massive du pays au tourisme, certains ont su en tirer profit.
J’en suis à mon 4ème voyage en Birmanie. Il y a quelques années encore, je ne voyais pas ce type de photos sur Internet ; aujourd’hui, ce sont ces images qui sont parfois lauréates de concours. Je les pensais sincères, mais ça, c’était avant…
Direction Bagan, la ville où les moines aiment lire debout dans la fumée !
Bagan est un lieu magique, hors du temps, où des milliers de temples sont répartis sur une plaine immense. J’y ai passé plusieurs semaines en 2013 pour le projet « Bagan sous les étoiles ». Bagan est aussi un village où j’aime m’immerger et passer du temps à me balader à vélo et à moto. Récemment, lors d’une balade, je me retrouve face à un photographe allemand et son guide birman, tous deux semblent attendre quelque chose devant une petite pagode. Curieux, je les interroge, mais très vite le photographe birman (je tairai son nom, car il est connu dans son pays) me fait comprendre que je ne suis pas le bienvenu et que je ferais mieux de continuer mon chemin. Son client, gêné, baisse la tête. Je comprends que quelque chose va se passer… je reste pour observer la scène, fais une photo puis l’on me demande de partir, car… je n’ai pas payé.
Non je ne paierai pas.
Le lendemain, je décide de revenir au même endroit, à la même heure et là, je trouve un groupe d’une vingtaine de chinois ; je comprends très clairement ce qu’il va se passer à l’intérieur de la pagode, je détiens maintenant le secret pour réaliser ce genre d’images !
Les effets de lumière sont crées grâce à des herbes que quelqu’un fait brûler dans la pagode, le moine et son livre sont amenés de l’extérieur pour être enfumés.
Un autre guide, plus causant que celui de la veille, m’explique que ces chinois ont payé plusieurs centaines de dollars pour faire ces images. Il me laisse observer la scène ; avec Kathy une amie Birmane, nous en profitons pour faire quelques images pour réaliser une petite vidéo « behind the scene ». Vous allez voir, c’est un peu choquant …
Par cette vidéo je ne veux pas stigmatiser tous les photographes, certains font un excellent travail avec une belle démarche humaniste ; dans la photographie de voyage il est fréquent d’arranger une mise en scène pour faire de belles images.
Ce qui me dérange :
Demander à des gens de sourire, ou bien de prendre la pose, pourquoi pas ! Cela se fait très souvent et peut créer un bon fou rire avec « son modèle ». Mais ici, en Birmanie, les images de moines deviennent un business avec des situations gênantes pour le modèle et pour le photographe. Voyager seul et sans guide permet, je pense, d’éviter ce genre de situation. Pour avoir été le témoin à plusieurs reprises de « mises en scènes », voilà ce qui me dérange.
- Les jeunes moines se font enfumés avec des herbes brûlées dans l’unique but de créer cet effet, dans un lieu peu aéré, où il est bien évidemment interdit de brûler autre chose que de l’encens.
- La photographie donne une image altérée de la réalité et le photographe participe à un business malsain ; dans mes voyages j’ai déjà été confronté plusieurs fois à cette pratique (lire l’article sur les pêcheurs aux cormorans), mais ici on mélange la spiritualité, les interdits et les dollars.
- Dans cet exemple le pouvoir du dollar prend le dessus sur les aspects culturels. Culturellement les moines sont respectés et on ne leur donne pas d’ordre pour prendre des poses.
Par ce business sont gracieusement payés : le gardien de la pagode (celui qui a les clefs et qui est responsable du temple), le guide (celui qui amène les moines et ses clients photographes) et sans doutes les jeunes moines (je n’en suis pas encore sûr).
- L’effet de groupe. Qu’il est gênant de voir plusieurs personne pointer leurs appareils vers un moine pour le fusiller de son déclencheur. Aucun lien n’est crée avec le sujet, qui devient l’objet de fantasme.
- Les mensonges que je lis sur ces images, voilà un exemple trouvé dans National Geographic’s Traveler Photo Contest.
“A novice monk reads a buddhist text in an old temple in Began. The light reflected perfectly off the pages of his book and the incense smoke was captured… »
« Un moine lit un texte bouddhiste dans un temple à Bagan. La lumière se reflète parfaitement dans les pages du livre, et de la fumée d’encens a été captée.. »
Non, ce moine ne lit pas. Il fait semblant (vous lisez souvent debout vous ?).
Non, la fumée ne provient sûrement pas que des bâtons d’encens.
Non, la lumière ne se reflète pas dans les pages ; une lampe à led n’est sûrement pas loin de son visage.
L’image est très belle mais mise en scène, cela s’apparente à de la « Fine Art photography« .
Photographier oui, mais raconter la vérité.
Ces moinillons sont instrumentalisés pour le plaisir de centaines de photographes qui se rendent en Birmanie et qui veulent eux aussi réaliser de belles images de moines.
Ces mêmes images m’ont fait rêver, je les pensais authentiques, et j’ai moi aussi photographié des « moines enfumés » d’une manière opportuniste, car j’étais présent lors de ces « mises en scène ». J’ai découvert, lors de mon dernier voyage, l’ampleur que prenait ce phénomène ; peut-être que publier cet article donnera l’envie à certain d’être plus créatif et de faire des images différentes.
Mon conseil :
Si vous voulez faire des images de moines, il suffit de les rencontrer, de leur parler, de crée un lien, de s’intéresser à eux, leurs quotidiens, et leur demander si c’est possible de prendre une photo ; si la rencontre est sincère la réponse sera très certainement positive, vous aurez une belle image et surtout un bon souvenir.
Évitez les shootings payant et en groupe qui déshumanisent le sujet. Pas d’échange, pas de discussion, pas d’émotions et pas d’âme, pas d’éthique… (Un peu comme dans la vidéo que j’ai partagé avec vous.)
Mon prochain article parlera des « vrais-faux » pêcheurs du lac Inlé en Birmanie, l’histoire est un peu différente mais très intéressante. À suivre…
Très bon et très pertinent article. Je souscris totalement à votre point de vue. L’été dernier, 32 ans après ma première découverte de ce superbe pays, je suis de retour au Sri Lanka où j’ai vécu le même genre de mésaventure en voulant photographier les légendaires pêcheurs sur pilotis qui ont fait en partie la réputation de la côte sud. Mais tout est devenu un business sordide et sans âme… Après pas mal de palabres (mais aussi avoir essuyé quelques menaces physiques), j’ai pris quelques clichés non payants et ma morale de voyageur photographe fut sauve. Mais sans doute ne m’approcherai-je plus de cet endroit, tant le souvenir de mon dernier passage me laisse un goût amer. La Birmanie et Pagan, ce fut en ce qui me concerne en 1987 ; les rapports étaient encore « purs » et teintés de réelle authenticité. J’hésite précisemment à y retourner pour les raisons que vous avez si bien décrites.
J’ai eu exactement la même expérience désagréable au Sri Lanka avec les still fishermen, un avait même un faux poisson en plastique au bout de sa ligne.. C’était très dérangeant comme expérience
Quelle tristesse! J’ai visité la Birmanie et Bagan en 1994, les frontières du pays venaient à peine de s’ouvrir et j’ai alors découvert un peuple d’une incroyable authenticité dont je garde un souvenir émerveillé. Nous étions quasi les seuls touristes, aussi bien à Bagan quem’au lac Inlé où nous avons été accueillis comme des invités. Ce temps semble révolu à vous lire…
…Excellent !!!
Très bon document ! Peut-on avoir les références de la musique qui accompagne la vidéo ? Merci beaucoup…
Bonjour Bernard, concernant la musique je peux simplement vous dire que le mantra récité est « om mani padme houng » pour le titre, je ne sais pas, ce sont des musiques libre de droits que j’utilisais quand je travaillais en radio.
Merci Alexandre !
Je suis allée en Birmanie en novembre dernier…ce pays authentique qui s’ouvre au touriste, trop à mon avis…les gens sont souriants, accueillants,et d’une gentillesse sans pareille… j’ai assisté à une mise en scène sur le lac inle, où les pêcheurs prenaient la pause devant des pirogues qui l’entouraient…j’en ai été déçue…par contre ma déception a été vraiment immense, lorsque j’ai vu dans un village trois femmes, de générations différentes, assises sur un banc, se faisant mitrailler par les photographes amateurs tous
ristes, et affichant un sourire fatigué…visiblement, elles y passaient une bonne partie de la journée…leur particularité, et ce qui fait qu’elles attiraient tant la foule, est que ce sont des femmes girafes…j’ai été très déçue du fait que mon groupe ai été piégé par ce commerce…je suis repartie, néanmoins,avec des images extraordinaires et des souvenirs pleins la tête..
Je suis allée en Birmanie en novembre dernier…ce pays authentique qui s’ouvre au touriste, trop à mon avis…les gens sont souriants, accueillants,et d’une gentillesse sans pareille… j’ai assisté à une mise en scène sur le lac inle, où les pêcheurs prenaient la pause devant des pirogues qui l’entouraient…j’en ai été déçue…par contre ma déception a été vraiment immense, lorsque j’ai vu dans un village trois femmes, de générations différentes, assises sur un banc, se faisant mitrailler par les photographes amateurs touristes, et affichant un sourire fatigué…visiblement, elles y passaient une bonne partie de la journée…leur particularité, et ce qui fait qu’elles attiraient tant la foule, est que ce sont des femmes girafes…j’ai été très déçue du fait que mon groupe ai été piégé par ce commerce…je suis repartie, néanmoins,avec des images extraordinaires et des souvenirs pleins la tête..
Bonjour,
Il est vrai que cela ce fait de plus en plus et en Thailande aussi . C’est un gros business , les scènes sont préparées d’avance avec lumière , fumée et autre, donc c’est certains plus rien de naturel, et l’envers du décor une vingtaine de photographes agglutinés à prendre la même scène….
Cela ce fait aussi avec les éléphants et autre….ou des scènes de pêche…..
Alors qu’il suffit tout simplement d’être là à la bonne heure et au bon moment pour profiter d’ une belle lumière, perso pour la fumée je vais souvent photographier les moines et les novices en fin d’après midi quand ils font le nettoyage, et la poussière qui elle est naturelle apporte à la photo une atmosphère réelle …
Hello – as a photographer who has worked in Myanmar for many years, I find your article and some of the comments very disappointing and narrow. I will number my concerns one by one so they are easy to refer to. I welcome any arguments against what I have to say.
1. Travel photography is NOT photojournalism, and therefore not sacrosanct. Set ups and arranged shoots are perfectly normal and acceptable, most especially with portraiture and fine art work.
2. The large Chinese group you use as your example is an inevitable part of tourism. Tourism helps the poorest country in SE Asia in this case, to raise its standard of living. In the case of monks and their monasteries, it also helps them to do the great work they do with the donations a very fe of the lucky ones receive for part time model work. Given this truth, and that they engage voluntarily, what would you do? Ban tourism? Ban monks posing for tourists?
3. Professional photographers who work like pros and establish some kind of relationship with their subjects – a necessity to get the best results – should not be lumped in with your story of complaint. The same goes for small photography groups who work in a professional manner. You are right with this group and situation you stumbled upon, and I take no issue with that. I do take issue with your NOT separating the best from the worst, and putting everyone in the same basket. Unfair.
4. The person who commented that Kayaung woman – whom he disgracefully calls « giraffes », is worse than the Chinese group. These women are human beings practicing an age old tradition. If they choose to come to a tourist area to earn tourist dollars, it is their choice! And who is anyone to deprive them of this opportunity?
Most of their income comes from making and selling their exquisite textiles and other handicrafts. But when tourists are quite naturally interested in photographing them – what should the ladies do? Refuse? They do not ask for money for photos, but they will accept if a person or a group takes up their time and quite rightly offers. This is GOOD, not bad. It’s a show of respect.
5. Lastly, to any photographer who is not happy about tourists invading and cheapening the value of their once rare images, get off your butts and go further afield! There are monks who have never seen a tourist in MOST of the country! Go there. There are Kayaung in remote Kayah State, go there. Put in the effort to get your images, and stop your complaining.
6. I have no problem with you pointing out the double-edged sword of tourism. People should not be exploited, but they can be hired. My problem is with you being unfair about it – and painting with such a broad brush. You impune the work of many excellent photographers who have gone before you and done so with integrity.
Again – there is a BIG difference in photography ethics between photojournalism/documentary and fine art travel photography. Set ups and arranged shoots happen quite often, and are perfectly acceptable. I agree that photographers should NOT misrepresent their images, but this has been going on since the first photograph!
At the same time, there is no ethical standard in fine art photography to say how you captured your image. Set ups are really easy to see with a little education, and I’m sure those who run contests can see quite easily in most cases, what is and is not a set up. The main point is – it does not matter in any ethical sense whatsoever, unless the photographer is lying about it.
If a travel photographer chooses to shoot « pure » and sets his own ethics for purity, (no set ups) that’s fine and more power to him. As largely a documentary shooter myself, I much prefer it. But when I am doing travel work, often set ups are necessary. Otherwise, what do you have in the Bagan case? An empty temple. And sales of an empty temple interior are not so good :).
So I hope that you rethink this before you go onto your next critical article. You have a great chance to do it right by choosing to educate the public with a more balanced story, instead of pointing out only the worst case scenarios. Most people do not understand the differences in certain types of photography ethics. It may disappoint them that everything is not always « real », but is rather re-creating the real. Like painters painting with light.
Je reviens de Birmanie où j’ai effectivement vu la ‘pose’ de pêcheurs-figurants au sortir du canal de Nyaung Schwe vers le lac Inlé. Bien habillés dans le costume des Intha, tout propres et brandissant cette nasse comme des acrobates !
Comme j’étais prévenue, nous ne sommes pas tombés dans le panneau et j’ai demandé au pilote du bateau s’il pourrait nous emmener vers les lieux où étaient les ‘vrais’ pêcheurs. Là il a coupé le moteur et nous avons pu admirer leur technique très agile pendant un bon moment, discrètement. Ils étaient habillés très simplement et ne s’occupaient pas de nous.
Je partage votre malaise devant cette instrumentalisation malsaine qui entraîne ensuite des contacts complètement dénaturés. Et je suis contente quand la photo que j’ai prise ‘à la volée’ est harmonieuse, car elle fixe un moment vrai.
Merci pour ce reportage vérité.
J’ai pleuré en le regardant. Et j’ai aussi senti de la colère montée en moi.
J,ai connu la BIrmanie en 2010[a un moment historique pour les birmans]. Je continue à m’informer sur l’évolution politique de ce pays auquel je suis très attachée.
je remets chaque année mon retour par crainte de ce que je vais découvrir [en dehors de l’accueil, t la gentillesse birmane].
Je suis vraiment touchée par ces images. J’ai connu des personnes venant à notre rencontre, ayant soif de contacts, d’échanges….le bon côté, j’espère, c’est qu’il n’y est plus la crainte des représailles lors des contacts avec l’étranger. Ou, ceci reste filter au travers des guides ??
Très bel article et très éclairant. Merci Alex de nous avoir dévoilé ces pratiques qui manquent totalement d’humanité et pourraient décrédibiliser le travail des « vrais » photographes. Il n’y a aucun respect, pour rien à faire ce genre de choses ni vis à vis de l’être humain, ni vis à vis de ce qu’il incarne.
J’espère que cet article servira à faire bouger les choses.